Interview : Traduire des mangas

▶Découvrir le métier de traducteur
▶Connaître quelques grandes différences entre le français et le japonais
▶S’intéresser à la situation du manga en France
▶Grammaire : la question rhétorique

Sommaire

  1. Vocabulaire
  2. Grammaire
  3. Vidéo
  4. Transcription
  5. Questions
  6. Réponses aux questions de compréhension (Page 2)

Vocabulaire

une interview
(attention : on dit « un entretien » pour le travail)
un traducteur, la traduction, traduire
un éditeur
un graphiste
un relecteur
un adaptateur
être indépendant, l’indépendance, (adj.) ~indépendant(e)
l’autonomie, être autonome, travailler en autonomie
(= tout seul)
l’isolement, être isolé
(= être coupé des autres)
être à l’aise (avec, dans)…
(= être confortable)
la cohérence, (adj.) cohérent(e)
(adv.) notamment, surtout, en particulier
(adv.) probablement
(adv.) effectivement
(adj.) ~spécifique
la paperasse
une déclaration (faire~)
pardon
(utilisé pour se corriger soi-même) Ex : « J’ai un chien… un chat, pardon. » ou bien « J’ai un chien… pardon, un chat ! »

Un point de grammaire

Procédé stylistique : la question rhétorique

La question rhétorique est une question à laquelle on répond en général soi-même. C’est une question purement formelle, ce n’est pas une vraie question posée à celui avec qui on parle.
Cela sert à captiver l’attention de l’interlocuteur (ou des auditeurs).

Exemples tirés de l’interview :

  1. Qu’est-ce que ça veut dire être traducteur indépendant ? Ça veut dire…
  2. Concrètement comment ça se passe ? Une fois que j’ai pris contact avec un éditeur….
  3. Pourquoi ? Pour que…

Vidéo

Sous-titres : français, anglais, japonais

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Transcription

Bonjour Alexandre !

Alexandre Goy : Bonjour.

Question 1 (0 : 17)

Alors, tu as obtenu ton doctorat en Études japonaises, et maintenant tu es traducteur indépendant. Peux-tu nous apprendre quels sont les différents aspects de ton travail, puis quels sont, pour toi, les avantages de ton métier, mais aussi ses facettes plus contraignantes ?

A. : Bien sûr ! Alors, je suis traducteur indépendant. Qu’est-ce que ça veut dire être traducteur indépendant ? Ça veut dire travailler en autonomie totale, c’est-à-dire que la plupart du temps, je suis chez moi ou à la bibliothèque, je travaille dans mon coin sur les différents éléments que me fournissent les éditeurs, en l’occurrence. Les éditeurs, avec qui je travaille sur des mangas, sur des romans, des light novels, et qui me demandent donc de traduire du japonais au français ces différentes histoires.

Être en autonomie, ça ne veut pas dire être totalement isolé. Un travailleur, un traducteur indépendant pardon, va travailler avec des partenaires en plus de l’éditeur. En règle générale, il s’agit de graphistes, c’est-à-dire les personnes qui vont mettre dans les bulles, dans les cases, les traductions que je vais faire du matériel original, et des relecteurs, qui vont s’assurer qu’il n’y a pas de fautes dans mon français, parfois aussi des adaptateurs, qui vont eux regarder la cohérence globale de la traduction pour s’assurer que le lecteur francophone ne… soit totalement à l’aise avec ce qui est dit dans le manga ou dans le roman.

Concrètement comment ça se passe ? Une fois que j’ai pris contact avec un éditeur, si celui-ci a besoin de moi, il m’enverra soit par la poste les ouvrages originaux, donc en règle générale des mangas ou des romans, soit par mail des versions numériques, donc des romans scannés, des mangas scannés. Une fois que je reçois le matériel de base, je dois passer par différentes étapes. Première étape dans le cas d’un manga par exemple, je dois indexer les différentes pages. Indexer, cela veut dire que je vais numéroter chacun des dialogues, numéroter chacune des bulles, mais aussi numéroter chacune des onomatopées que je vais traduire par la suite. Pourquoi ? Pour que les graphistes notamment puissent associer ma traduction à un numéro et le reporter facilement sur la planche au milieu du dessin.

Pour un manga, restons sur l’exemple du manga, en règle générale, 200 pages de manga sont traduites entre 28 et 42 heures de travail effectif. Alors pourquoi un si large éventail de temps ? Parce qu’il arrive parfois que je sois amené à faire des recherches. Certains mangas abordent des sujets spécifiques, comme par exemple la justice. Si un manga met en scène un avocat, je dois m’assurer de connaître le vocabulaire spécifique à ce métier, spécifique à ce domaine, pour faire parler, pour faire parler le personnage comme si c’était un avocat français. C’est une étape qui demande énormément de temps, d’implication, et de travail évidement, et qui arrive en règle générale suite à une lecture complète du manga pour s’assurer que j’ai bien assimilé l’ensemble des informations contenues dans le manga.

Ensuite, les horaires que j’applique à mon travail quotidien sont bien sûr libres puisque je suis indépendant, mais en règle générale, comme il y a une date de rendu déterminée avec l’éditeur, je dois m’assurer d’avoir fini mon travail dans les temps. Donc, la plupart du temps, je travaille 8 à 9 heures par jour, tout au long de la semaine.

Ensuite, mon travail de traducteur indépendant ne se limite pas malheureusement à l’unique traduction. Je dois aussi m’assurer de tout ce qui est administratif autour de mon activité, donc toute la paperasse qui est liée aux contrats, au suivi des factures, mais aussi aux relations avec l’administration française pour notamment des déclarations. Cet aspect-là de mon travail fait partie, je dirais, des facettes les plus rebutantes comme tu le disais. Il y en a d’autres aussi : des fois, on peut se retrouver en tant que traducteur isolé, c’est-à-dire qu’on est tellement pris par son travail, c’est probablement vrai pour d’autres travaux, mais quand on est seul devant son écran à travailler la traduction, et bien on, finalement, on se coupe un petit peu des autres activités, notamment des activités sociales, et ce sont surtout mes amis qui se plaignent de me voir le moins, de moins en moins.

Par contre, il y a de grands avantages à faire ce métier, notamment tout ce qui implique la liberté créatrice. On peut mettre à profit sa créativité naturelle dans le manga de la traduction… dans le métier de la traduction, pardon. Ça nous ouvre également à différents univers, des univers culturels que nous ne maitrisons pas forcément tout de suite, mais qui nous permettent aussi de changer notre vision sur le monde. Par exemple, j’ai travaillé sur des mangas qui parlent de handicap, j’ai travaillé sur des mangas qui parlent de l’univers du cinéma, j’ai travaillé sur des mangas aussi fantastiques qui mettent en lumière certains éléments de la culture populaire japonaise, et qui sont formidables à découvrir.

Question 2 (6:41)

Quelles sont les principales difficultés que tu rencontres lorsque tu traduis en français ce qui est exprimé en japonais ? Peux-tu nous apprendre quelles sont les grandes différences entre le japonais et le français ?

A. : Alors effectivement, il y a de nombreuses différences entre le français et le japonais, à savoir que les règles qui vont prédominer dans mon travail ce seront celles imposées par le français évidemment, vu que la langue cible est le français et qu’il faut que je m’assure que nos lecteurs francophones soient tout à fait à l’aise avec ma traduction.

Les principales règles qui sont imposées par le français sont notamment la morphologie de la phrase, la construction grammaticale autour du sujet, alors qu’en japonais souvent on estime que la phrase elle se construit autour du prédicat. Donc il y a une véritable opposition entre l’importance du sujet qui est en français, et l’importance de l’information en japonais.

En français, un énoncé strict est souvent construit autour d’un sujet, (d’un) verbe et d’un complément, alors qu’en japonais, l’énoncé minimal complet lui peut se réduire à un seul mot, que ce soit un nom, un pronom, un mot de qualité*. Et cela pose aussi un problème en termes graphiques, puisque du coup, et notamment dans les mangas, les bulles, des fois, sont très petites dans le format originel, parce qu’elles n’ont pas besoin d’accueillir de longues phrases, le japonais pouvant se résumer parfois à un mot, un adjectif, et rendre ce mot ou cet adjectif en français avec la construction sujet-verbe-complément est parfois compliqué ne serait-ce que pour rentrer dans la bulle en elle-même.

Par exemple, en japonais, on dit, on peut dire « samui » donc qui littéralement signifie « froid » mais qui en français devra être traduit « il fait froid » ou « j’ai froid », selon la nature du sujet et du complément. Et donc c’est compliqué parce que, il faut à la fois que le traducteur synthétise un maximum les informations contenues dans la phrase japonais, dans la phrase japonaise pardon, mais il doit quand même rendre une phrase française claire et suffisamment descriptive pour être comprise par le lecteur français. Donc ce sont des difficultés auxquelles j’ai affaire quotidiennement, et auxquelles j’ai des fois du mal à trouver des solutions.

Ensuite, en français, le sujet dans la phrase est souvent rappelé par des pronoms, et les pronoms, comme le sujet d’ailleurs, sont soumis aux catégories du genre, du nombre. Ces catégories-là ne s’appliquent pas au japonais.
Ou alors en japonais, quand il y a ce genre de précisions à donner, il est souvent donné par des procédés lexicaux, comme des suffixes, des préfixes ou des déterminants et ce sont des marqueurs qui n’existent pas en français.
Et donc il faut jongler pour refournir l’information précise au lecteur français avec les outils grammaticaux mis en place par le français. Donc c’est d’autant plus compliqué qu’en français le sujet est rappelé tout le temps et on doit connaître absolument son genre, on doit connaître son nombre. Sont-ils nombreux ? Est-il tout seul ?
Donc, tout ça se sont des choses qui s’appliquent constamment dans la phrase traduite vers le français.

En plus, en français, on a une autre difficulté, c’est que la répétition est quelque chose que l’on déteste, donc même si le sujet doit toujours être présent dans la phrase, le rappeler systématiquement c’est d’un terme… d’un point de vue stylistique, c’est habituellement peu admis, on va dire.

*Note : en français, un énoncé peut parfois se réduire à un seul mot (on appelle cela une prophrase), mais c’est généralement une réponse. Exemple :
– Comment est ce manga ?
– Excellent ! (pour : Il est excellent !)

Question 3 (11:06)

Les États-Unis ont récemment remplacé la France en tant que deuxième pays consommateur de manga. Néanmoins, la France a été pionnière dans l’importation et la traduction de mangas et d’animés. Moi, j’ai découvert les mangas au collège, avec Dragon Ball, il y a environ 25 ans. Et toi ?

A. : Et bien moi, ça devait être à peu près à la même période, au collège également. Je crois me souvenir que le tout premier manga que j’ai eu entre les mains s’appelait Appleseed. C’était un manga de Masamune Shirô, et il était édité en France aux éditions Glénat. Ça devrait être au début des années 90. Mais c’était il y a tellement longtemps que je ne me souviens même pas du contenu. Je ne l’ai pas relu récemment. Par contre, un manga, le premier manga que j’ai acheté et qui m’a accompagné jusqu’à aujourd’hui, je dirais que ce serait du même auteur que Dragon Ball, Docteur Slump de Akira Toriyama, qui met donc en scène le professeur Sembei Norimaki et son petit robot du nom de Aralé*. C’était à la fois drôle et bizarre et c’était formidable de découvrir ce manga. Par la suite, je me suis un peu plus intéressé aux mangas dans leur globalité et j’ai lu notamment le manga Fly !, en japonais il s’agit de Dai no daibôken qui est écrit par Riku Sanjô et Kôji Inada et qui est une histoire d’amitié qui est vraiment extraordinaire que j’ai beaucoup aimé. Et puis, ben, par la suite, j’ai grandi, j’ai découvert différentes choses et notamment une catégorie de manga que je ne connaissais pas encore, qu’on appelait déjà à l’époque le « shôjo manga », donc le manga destiné, dit-on, aux filles et j’ai découvert une autrice qui s’appelle Yuki Kaori avec le manga Angel Sanctuary qui m’a tenu en haleine de longues années.

* Pour les noms étrangers, parfois on ne fait pas l’élision à « de » pour que le nom soit bien audible et compréhensible. Ce qui n’empêche pas de dire « d’Akira Toriyama » et « d’Aralé » si on préfère.

Question 4 (13:44)

Et quels sont les mangas et les animés qui sont populaires en France cette année, en 2020 ?

A. : Alors c’est une question difficile à répondre pour moi parce que je suis toujours… je me place toujours, on va dire, du côté du public plus que du côté des éditeurs donc je n’ai pas les chiffres précisément à te communiquer, néanmoins en France en ce moment on voit beaucoup, beaucoup d’affiches d’un manga qu’on appelle en France Demon Slayer et qui est titré au Japon, Kimetsu no Yaiba, je crois, et en fait c’est l’illustration de ce qui marche particulièrement chez nous, c’est-à-dire plutôt des mangas et des animés orientés action.

Question 5 (14:29)

Et quel est ton ressenti sur la situation actuelle du manga en France ?

A. : C’est vrai qu’on a appris très récemment que le marché du manga en France est passé de la deuxième position à la troisième, puisque les États-Unis ont rattrapé leur retard en redécouvrant une certaine quantité de classiques dans le manga. Cependant, de mon point de vue en tout cas, de ce que je peux en voir, j’ai l’impression que la situation est encore très très dynamique en France, qu’il n’y a pas encore de soucis pour découvrir de nouveaux auteurs. La preuve en est (que) les auteurs japonais viennent régulièrement nous voir ici en France durant les conventions, durant les festivals, et le public est toujours très réceptif, j’ai l’impression, aux nouvelles œuvres, et très en demande de nouveautés. Donc je ne pense pas qu’il y aura un recul de l’activité du manga en France particulièrement.


Questions

Questions de compréhension

  1. Quelle expression synonyme de « en règle générale » est apparue dans l’interview ?
  2. Et quelle expression synonyme de « parfois » ?
  3. Et quel mot synonyme de « un travail » ?
  4. Enfin, quelles sont les deux autres expressions synonymes de « c’est-à-dire » présentes dans le texte ?
  5. La France est-elle le deuxième marché mondial des mangas avant les États-Unis ?
  6. Le « shôjo manga » est un genre de manga destiné aux garçons ?
  7. Corrigez les phrases suivantes pour qu’elles soient vraies :
    a) Le sujet d’une proposition peut être souvent omis en français.
    b) Contrairement au japonais, la répétition est admise en français.
    c) La taille des bulles des mangas est parfois trop grande pour la traduction française.
  8. Transformez ces questions rhétoriques et leur réponse en phrases simples (sans question rhétorique).
    a) Qu’est-ce que ça veut dire être traducteur indépendant ? Ça veut dire travailler en autonomie totale.
    b) Alors pourquoi un si large éventail de temps ? Parce qu’il arrive parfois que je sois amené à faire des recherches.
  9. Transformez cette phrase en question rhétorique suivie de sa réponse.
    Les principales règles qui sont imposées par le français sont notamment la morphologie de la phrase et la construction grammaticale autour du sujet.
  10. Conjuguez correctement les verbes dans les phrases suivantes :
    a) En tant que traducteur indépendant, il arrive qu’on (être) parfois isolé.
    b) Il faut adapter le texte japonais, pour que les francophones (pouvoir) bien le comprendre.

Les bonnes réponses se trouvent en page 2 !

Pour le débat et la discussion

  1. Présentez un manga que vous trouvez intéressant (vous n’êtes pas obligé de l’aimer !). Qui est le dessinateur (ou la dessinatrice) ? Le ou la scénariste ? Est-il fini ou en cours de publication ? Résumez son histoire. Parlez des personnages. Pourquoi l’aimez-vous ? Pourquoi vous ne l’aimez pas ? Est-ce qu’il a été adapté en série animée, en film ou en jeu vidéo ?
  2. Comparez un volume d’un manga japonais et un volume d’une BD franco-belge (Astérix, Tintin, Les Schtroumpfs…). Quelles sont les différences ? (Format, prix, visuel, organisation des cases, nombre de pages…)
  3. Le manga et l’animation japonaises ont beaucoup influencé la BD franco-belge actuelle. Donnez des exemples en recherchant sur internet.
  4. L’édition des mangas est très segmentée, avec pour beaucoup d’œuvres leur public assez précis, ou leur thème bien délimité. Les planches montrées dans la vidéo appartiennent par exemple à un manga qui traite de cuisine, Mister Ajikko (traduit en 2019 chez Black Box), dont l’adaptation en série animée a été diffusée sur TF1 dans les années 90 (Le petit chef). Connaissez-vous d’autres mangas qui parlent de thèmes très spécifiques, ou bien qui ciblent un public particulier ?

Auteur : ロラン

JP/FR/EN

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